Gonthier (Interview)

Le Rythme De La Nuit est une œuvre traduisant mon observation de ce monde nocturne et de mon rapport à la ville. Elle décrit mon arrivée et mon expérience à Paris en tant que jeune femme éduquée dans les valeurs méditerranéennes”

GONTHIER lors de la session BLAQUES ROOM de “Panne de langage”. Photographie par Alex Heyoka

Le 23 mai dernier, l’équipe de YOKA MUSIC PRO était présente au Petit Bain à Paris pour fêter la sortie du premier EP de GONTHIER, Le Rythme De La Nuit. Ode aux nuits parisiennes, ce projet exprime également le face-à-face de son auteure avec ses nuits fauves. Alors qu’une partie de Paris s’endort, GONTHIER reste verticale (référence au label musical dont elle est la fondatrice). YOKA MUSIC PRO en a profité pour discuter avec elle afin de découvrir plus en détail son univers.


YOKA MUSIC PRO : Peux-tu nous raconter la conception de ton EP, Le Rythme De La Nuit ?

GONTHIER : J’ai mis pas mal de temps à sortir ce projet. J’en ai sorti un premier il y a une dizaine d’années, sous le nom de Anything Maria, qui a très vite fonctionné. Je suis passée de Marseille à la haute sphère de l’industrie musicale à Paris et ça a été une expérience incroyable. Avec le recul, je me suis rendue compte que je n’avais pas assez réfléchi en amont à mon projet. Je me suis donc retrouvée avec une chanson hyper electro qui a cartonné et d’autres qui exploraient un côté plus electro-folk, cela a donné un projet qui, selon moi, n’était pas cohérent. C’est à partir de là que j’ai commencé à peaufiner mon univers. Au fil des années, j’ai appris à m’entourer. Autre élément important, je suis passée de la langue anglaise à la langue française. Sur le côté, j’ai développé un autre projet, sous le pseudonyme de Catherin, qui me permettait de me produire en tant que DJ.

J’ai donc mis 5 à 6 ans pour définir les contours du (Le) Rythme de la Nuit. Cet EP parle de mon arrivée à Paris, qui a été un énorme choc pour moi car je me suis retrouvé dans un milieu que je ne connaissais pas, dans une classe sociale qui n’était pas la mienne et dans un univers festif qui avaient à la fois ses côtés positifs et enthousiasmants, mais aussi ses côtés dangereux et ses égarements. Le Rythme De La Nuit est une œuvre traduisant mon observation de ce monde nocturne et de mon rapport à la ville. Elle décrit mon arrivée et mon expérience à Paris en tant que jeune femme éduquée dans les valeurs méditerranéennes. J’ai fait des choses que je considère personnellement dangereuses aujourd’hui, que cela soit par curiosité, j’étais très avide d’expériences, ou naïveté. C’est la perte de l’innocence quelque part !  Une sorte de « Pays des merveilles » urbain et moderne, dans lequel Alice est en quête d’identité. Alice d’ailleurs est selon moi l’un des premiers « mythes » modernes sur la construction de l’identité féminine, un voyage initiatique oscillant entre rêve, beauté et avec ce que le rêve peut contenir d’inquiétant. J’aborde tout cela sur Le Rythme De La Nuit puis souhaite l’approfondir avec un premier album…

Cover de “Le Rythme de la Nuit”. Photographie par Stella Libert.

YMP : On dit souvent que chaque projet est synonyme de changement pour un.e artiste, tu avances, tu explores de nouveaux terrains sonores ou au contraire, tu te confortes dans un style etc. Avec Le Rythme De La Nuit, tu arrives avec un nouveau nom de scène, GONTHIER, qui est aussi ton nom de famille. Pourquoi ce changement ?

G : Je suis quelqu’un qui est sans cesse dans la quête sonore. Je ne fais pas de la chanson traditionnelle. Cela explique les changements de noms. D’abord, avec l’alias Anything Maria, j’étais dans l’electro-rock avec des paroles en anglais, ensuite sous le nom de Catherin c’était plus club, quant à GONTHIER, ça marque la réappropriation de la langue française, ma langue natale. Au final, je ne sais même pas pourquoi je me suis écartée de ma langue maternelle, sans doute à cause, mais aussi grâce, aux nombreux voyages que j'ai fait à partir de mes 18 ans. Ce retour m’a fait énormément de bien. En conclusion, GONTHIER traduit la symbiose de toutes mes expériences précédentes. J’ai enfin trouvé ma patte, il fallait que ça se traduise par un nouveau nom.

YMP : Justement, avec tes anciennes entités, tu es parvenue à te créer une notoriété dans le clubbing, tu as fait des collaborations en France et à l’internationale, tu as plus de 10 ans de carrière et vécu nombre de nuits fauves, comment fais-tu aujourd’hui pour garder cette même énergie à la fois humaine et artistique ?

G : Je ne sais pas trop… mais je pense que j’ai toujours quelque chose à dire. Tant que je n’ai pas donné ce que j’ai à donner, je ne me retirerai pas. C’est plus fort que moi. Aussi, l’énergie, j’en donne beaucoup, mais j’en reçois énormément en retour grâce au public et aux rencontres que je fais. La fraîcheur vient de ces rencontres et de ces collaborations, que cela soit avec Stella Libert, qui réalise mes clips, ou bien encore avec l’équipe de YOKA MUSIC PRO par exemple.

YMP : Avec ce qu’on a vu ce soir lors de ta release party, on a l’impression que tu fais tout de manière autonome et indépendante. De ta promo, ou auto-promo même, à ta scénographie, tu sembles tout confectionner de A à Z, comment fais-tu ?

G : Je suis passée par de nombreux moments de doutes. Arriver avec un univers artistique abouti n’est pas simple. La vie d’un artiste est en dents de scie. Là, je suis en pleine possession de mes pouvoirs ! J’ai pris le temps de savoir où aller. L’autonomie demande beaucoup d’énergie, mais je suis quand même bien entourée ! Je me rends compte que l’indépendance t’amène pas mal de retours de la part des gens. J’ai aussi mon label (Verticale), ce qui me permet d’apprendre le business, c’est une excellente expérience ! Côté image et direction artistique, je suis bien entourée aussi avec Stella Libert par exemple. Pour la musique, je travaille avec Loo & Placido. Ces gars-là ont une carrière dingue, ils ont plus de 20 ans de métier, ils se sont spécialisés dans le mashup et sont passés par le rock, le hip-hop ou bien encore l’electro. J’adore travailler avec ces personnes.

YMP : Tu sais donc t’entourer de personnes de confiance sur le long terme, c’est le cas de Stella Libert qui a réalisé la plupart de tes clips, dont “Le Rythme de la Nuit”, quelle relation artistique entretiens-tu avec elle ?

G : Stella est une rencontre. Elle est talentueuse, a toujours envie d’explorer de nouvelles choses et souhaite se dépasser. Il y a donc quelque chose dans nos énergies qui fait que ça matche bien entre nous deux. Cette énergie créative, elle n’est pas que pour moi, elle est aussi pour la personne avec qui je travaille. Stella apporte énormément au projet et ça la nourrit beaucoup aussi en tant que cheffe opératrice et directrice artistique, c’est un vrai binôme et ça, c’est génial ! J’ai pensé le projet dans une continuité narrative texte, musique et image. Stella l’a bien compris, donc travailler sur le plan artistique avec elle est une énorme joie.

YMP : Dans ton EP, on a le sentiment que tu es tiraillée entre ce rythme de la nuit, par lequel tu te laisses emmener, et une sorte de finalité illustrée par le titre “Party’s over”. Est-ce un souhait de ta part de mettre en avant cette dualité, entre ton amour et ta lassitude pour la vie nocturne serais tu arrivée au bout des choses sur ce sujet, et quelque part, au bout de la nuit ?

G : J’ai opté pour un ton désabusé et ironique. Cet EP est le portrait de quelqu’un qui se retrouve propulsé dans le cadre des nuits parisiennes. Il y a une part de la personne qui aime ça et une autre qui se pose des questions existentielles. C’est un projet de l’expérience. J’essaye d’adopter un ton à la Houellebecq (écrivain français connu pour son cynisme et ses descriptions placides, ndlr). Il y a cet aspect récurrent de la question : “Qu’est-ce que je fais là ?”. Le titre “Party’s over” me vient d’un livre que j’ai trouvé à New-York, il y a une dizaine d’années, qui parle de la fin des ressources naturelles*, donc du fait que la fête est finie.

Mes chansons sont finalement un peu plus globales que ce qu’on pourrait entendre à la première écoute. Il y a quelque chose de plus profond. Par exemple, le morceau éponyme au projet “Le Rythme De La Nuit” met en avant le côté animal de l’humain et son incapacité à faire société. “Party’s over” parle de la fin de notre modèle sociétal, d’une fin même imminente. Je ne voulais pas développer une forme de militantisme écologique parce que je ne me sens pas de porter des combats politiques de manière frontale, ça n’est pas mon ton. Mais l’idée est quand même de dire avec ce morceau “Bon les gars, la fête est finie, qui va ramasser tout ce bordel ?”. Il y a une urgence à laquelle on doit tous répondre.

Je ne voulais pas développer une forme de militantisme écologique parce que je ne me sens pas de porter des combats politiques de manière frontale, ça n’est pas mon ton. Mais l’idée est quand même de dire avec ce morceau “Bon les gars, la fête est finie, qui va ramasser tout ce bordel ?”. Il y a une urgence à laquelle on doit tous répondre.
— Gonthier

YMP : Il y a une force dans ta musique à l’image du titre La Ville Me Brûle”, tu parviens à exprimer une grande sensibilité, comment fais-tu pour transmettre autant d’émotions ?

G : D’abord, je suis incapable de raconter quelque chose que je n’ai pas vécu. Ensuite, j’ai été encore une fois très bien accompagnée en chant par une prof qui était aussi dans le théâtre. Elle m’a débloqué quelque chose dans le partage de mes émotions. Quand j’interprète mes morceaux, je revis les moments qu’ils contiennent. 

YMP : Tu m’as parlé de Stella, de Loo & Placido et d’autres personnes t’ayant ou t’accompagnant encore aujourd’hui. Tu as rencontré Alex Heyoka dans le cadre de la réalisation de ton morceau “Panne De Langage” pour le projet audiovisuel BLAQUES ROOM, qu’est-ce que tu retiens de cette rencontre ?

G : J’adore les rencontres qui se passent comme ça ! Les rencontres sans prise de tête font toujours très plaisir. C’est de la spontanéité et c’est génial quand ça se passe de cette manière. J’ai beaucoup aimé travailler avec Alex et son équipe, il n’y a pas d’ego mal placé. J’ai aussi beaucoup aimé le challenge du Cypher Pop (à venir…). C’est cool parce que c’est quelque chose de très humain et fluide. Des énergies qui s’attirent de manière totalement inattendue et ce, sans aucun rapport de pouvoir… j’adore ce type de rencontres ! C'est un des aspects qui me réjouit le plus dans nos métiers.

YMP : Merci pour tout GONTHIER, pour finir est-ce que tu as un ou plusieurs projets artistiques à nous conseiller ?

G : Il y en a plusieurs, d’abord Banga et Since Charles qui étaient présents ce soir sur scène. Sinon j’écoute beaucoup Rema, Lazuli, Rosalia puis niveau hip-hop j’ai beaucoup aimé le dernier Kendrick Lamar.



Crédits :

Propos recueillis par Thibaut de YOKA MUSIC PRO.

Ecoutez Le Rythme De La Nuit de GONTHIER ICI

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*HEINBERG Richard; Pétrole, la fête est finie : avenir des sociétés industrielles; Demi-Lune; 2008

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