Lasmo (Biographie)

“ Mais j’peux pas mettre les voiles,

J’sais pas parler de mes sentiments,

J’sais juste les chanter ”

“ Full Metal ”, extrait de 720. Lasmo

Lasmo au Théâtre de verdure de Courbevoie. Samedi 3 juin 2023. Photo par Thibaut.

Le samedi 3 juin 2023 s’est tenu pour la seconde année consécutive le concert Lasmo & Friends au Théâtre de verdure de Courbevoie (Hauts-de-Seine). Initié par le service des Affaires culturelles de la Ville, cet événement fut l’occasion pour l’agence YOKA MUSIC PRO de rencontrer Lasmo et d’échanger avec lui sur son parcours, son travail et son entourage. Portrait d’un rappeur à la fois discret et touchant.

Le rap comme exutoire.

Nous sommes en 2011, Lasmo, de son vrai nom Antoine, vit à Levallois-Perret (Hauts-Seines) avec sa mère et grandit sans repère paternel. A la fois introverti et sensible, il écrit ses premiers textes de rap et voit en ces derniers un moyen d’extérioriser ses émotions les plus enfouies. C’est avec un rappeur bruxellois, RKarlos, durant des vacances scolaires, qu’Antoine se met à rapper. Il fait ensuite la rencontre d’un groupe de Levallois, Crack Music, comptant dans ses rangs deux amis d’Antoine, ABD -aujourd’hui Dralik- et Dizz. Prenant comme nom d’artiste Smoky, le jeune MC gravite autour de ce groupe et participe à des freestyles se tenant en bas d’immeubles de Levallois-Perret.

Inspirés par une nouvelle génération de rappeurs français remettant au goût du jour l’art du freestyle et les battles*, les membres du Crack Music - et Smoky - s’adonnent à ces mêmes exercices sur les quelques type beats** disponibles à l’époque sur YouTube ainsi que des productions de DJ Premier et l’incontournable instrumental de “Shook Ones, Part. II” du groupe new-yorkais Mobb Deep.

Fort de ces premières expériences, Smoky se professionnalise un peu plus et fait la connaissance de Karim, ingénieur du son au Light Up Studio, situé à Bécon, un quartier de Courbevoie. Dès qu’il le peut, le jeune MC inonde YouTube de ses morceaux fraîchement sortis des sessions de mixage et de mastering***. Pourtant, l’innocence et l’excitation de partager son rap laissent rapidement place à un goût amer. En 2014, Antoine se rend compte que ses morceaux ne représentent pas sa personne.

En 2015, il fait le choix de se débarrasser de son pseudonyme Smoky, qu’il juge trop peu original. C’est ainsi que né Lasmo, en référence à Lasmoquette, un surnom qu’un ami lui avait donné le lendemain d’une soirée agitée. Un surnom que le rappeur complète par 777, en hommage à son père né un 7 juin, et lui permettant d’éloigner le chiffre 6 qu’il trouve alors trop présent dans sa vie (né le 6.06 et vivant au 6ème étage). Un changement d’identité se traduisant par un retour aux sources : faire du rap un simple loisir tout en suivant une formation d’ingénieur du son.

*Terme de la culture hip-hop désignant une compétition entre rappeurs ou autres artistes échangeant leurs meilleurs passages spontanés.

**Terme anglophone désignant un instrumental, la musique sur laquelle le rappeur va poser son texte.

***Désigne l’étape finale de la postproduction audio. Son but est d'harmoniser l'ensemble des éléments sonores du mix

Tout déconstruire pour mieux rebâtir.

Nous sommes en 2017, Lasmo débute une formation d’ingénieur du son. C’est là qu’il fait la rencontre d’un dénommé Salakid. Les deux camarades deviennent rapidement inséparables et rencontrent un ingénieur du son issu de leur formation, un certain Ayrton. Des rencontres importantes pour Antoine, qui en amènent d’autres, avec Rico Forevlz et son cousin Yohan, producteur de Salakid.

Ce dernier, travaillant alors avec Tengo John, déborde d’énergie scénique et créative, ce qui impressionne Antoine et le motive à se relancer dans le rap. Une alchimie artistique s’opère entre les deux, les morceaux enregistrés s’accumulent sans pour autant être diffusés. Lasmo, conscient de ses progrès et poussé par Salakid, Ayrton et Rico, décide de faire écouter ses morceaux à des artistes qu’il enregistre dans le cadre de sa formation. Les retours sont plutôt encourageants.

Ayant en tête que Salakid possède déjà une certaine renommée dans le rap, Lasmo souhaite développer sa propre entité afin de ne pas figurer comme un inconnu aux côtés de son compère. Pour cela, il compose et sort la série de clips Les as -produits en partie par Forevlz- sur YouTube. Un moyen permettant à l’artiste de poser les bases de son univers et de se présenter au travers de quatre morceaux répartis sur plusieurs mois.

L’introduction de Lasmo étant faite, il convient maintenant de sortir les travaux réalisés avec Salakid. Les nombreux morceaux enregistrés permettent au tandem d’avoir deux directions artistiques bien définies. Une première, plus lumineuse, et une seconde, au contenu plus sombre, débouchent sur deux projets sortant à moins d’un d’intervalle, ECLIPSE (Solaire), en juillet 2020, et ECLIPSE (Lunaire), en mars 2021.

Entre ces deux projets - et deux vagues de COVID-19 - Lasmo en profite pour se mettre en avant via une série de freestyles réalisés chez lui puis postés sur Instagram, les 1 Minute & STOP, dont les premiers épisodes sont partagés via la page 1 minute 2 rap. Lasmo développe sa communauté sur les réseaux sociaux, notamment via son freestyle « Confinement » qui est vu plus de 90 000 fois sur Instagram. L’objectif de Lasmo est largement atteint. Il n’est plus un inconnu rappant aux côtés de Salakid.

Au printemps 2021, alors qu’il tourne le clip pour son morceau “Amen”, le rappeur rencontre un dénommé Ryan. Élève au lycée Paul Lapie de Courbevoie, il propose au rappeur de rejoindre le podcast Passe ton rap d’abord. Initié par Anne-Gaëtane Anton, enseignante de français, ce podcast donne la parole aux élèves afin de leur faire prendre conscience de l’intérêt des mots qu’ils écoutent. Le morceau alors retenu est « Essence », extrait d’ECLIPSE (Lunaire) avec Salakid, traitant de l’écologie et des limites du capitalisme. Un exercice qui sera ensuite réalisé en live lors de l’édition 2021 du Festival Les Mots Libres proposé par la ville de Courbevoie.

Après la sortie des deux volumes ECLIPSE et du projet scolaire Passe Ton Rap D’abord, Lasmo fait la connaissance d’un beatmaker*, BOD. Le courant passe parfaitement entre les deux artistes ce qui encourage Lasmo à se dépasser et ainsi proposer un premier projet musical concret en solo. Pour cela, BOD comprend que le rappeur cherche une ligne artistique lui étant propre. Il lui propose alors des productions 2 steps**, style encore peu reconnu dans la sphère mainstream du rap français. En quelques mots : nouvelle rencontre et nouveau tournant pour Lasmo.

*Terme anglophone pouvant se traduire littéralement par “faiseur de son”. Compose les rythmes d’un morceau de rap.

**Désigne un style de musique électronique. Il a des caractéristiques similaires aux autres genres de UK Garage, avec notamment des influences de soul, jazz, RnB, house et drum and bass.

360.

Animé par une écriture introspective depuis ses débuts, Lasmo décide de se livrer pleinement en musique.

Ainsi, en novembre 2021, Lasmo sort son premier EP. Pensé à la base sous le nom de La Boucle, pour donner l’idée d’une spirale infinie, Lasmo tranche finalement pour 360. Composé de 4 titres, il est produit en partie par BOD (« Ego » et « 360 ») et Klaym, un artiste que Lasmo enregistrait et avec qui il décide de partager le très mélodique « Rocket League ».

Avec 360, Lasmo livre un EP complet s’inscrivant à la croisée du kickage, de la poésie et d’une écriture très imagée. Fidèle à lui-même, le rappeur se présente sans artifice, comme l’illustre le titre éponyme « 360 ». L’ego y est justement dosé, après des années à se chercher artistiquement, Lasmo sait enfin quelle direction prendre pour s’accomplir et affronte ses démons ou autres traumas, tout en sachant que la route de l’accomplissement artistique et personnelle est encore longue :

« Maintenant je sais vers où je vais. Où je vais dans le temps.

Dans le temps j’avais déjà ce rêve. Bien tant de rêves d’enfant.

Enfance qui est morte avec.

Cocktail d’alcool et de somnifères, papa quand est-ce que tu te réveilles ?

(…)

La route est longue, semée d’embûches et de tournants. ».

720.

L’histoire des suites dans le cinéma et la musique ont souvent été ponctué de déceptions. En annonçant son second EP, 720, s’inscrivant directement dans la veine de 360, Lasmo se lance un pari ambitieux. Il parvient à construire une continuité dans son univers à l’image le travail visuel de Flamalice.

Sur la pochette de 360, Lasmo se trouve sur le toit d’un immeuble tandis que 720 met en scène le rappeur chuter de ce même toit, symbole de cette éternelle spirale. Dans le cadre de la confection de 720, Lasmo rencontre avec un beatmaker guitariste surnommé Le Dim. De cette rencontre découle un premier single, « Full Metal ». Pour Lasmo, ce morceau est un accomplissement absolu.

En 12 ans, il est passé des faces B de Mobb Deep et DJ Premier à une production soignée reposant sur une envoûtante guitare électrique. Ce morceau connaîtra d’ailleurs une version live lors du concert Lasmo & Friends au cours de laquelle la guitare électrique laisse place à une guitare classique.

Salakid, BOD, Le Dim, Ayrton, Karim, Rico… si, depuis 2015, Lasmo a su confectionner un univers lui étant propre, son aventure artistique est le résultat de rencontres et surtout d’un collectif mis en avant depuis 2021.

1% et tous pour un.

Touche back, nous sommes au tournant de l’année 2019-2020, Lasmo et Salakid, jusque-là inséparables, se perdent peu à peu de vue après l’obtention de leur formation d’ingénieur du son. Le premier aménage un studio dans son appartement, tandis que le second ouvre le sien, Le Garden, à Nanterre.

Chacun de leur côté, les deux rappeurs vont peu à peu s’entourer de visages familiers mais aussi de nouveaux. Dans son home-studio, Lasmo enregistre Rich, une vieille connaissance, tandis que Salakid renoue les liens avec un ami du collège, Drich et se rapproche de Coffee237, issu du groupe cannois South Ride. Ces retours et arrivées dans leur vie les amènent à se recontacter et à organiser de nouvelles choses. Depuis ses débuts, Salakid rêve de monter un collectif. Avec Lasmo, les deux compères font du lundi un jour de rassemblement au Garden. Au fil de ce rendez-vous hebdomadaire, le cercle s’agrandit, les plumes s’aiguisent et les styles se définissent. Les freestyles laissent place à des enregistrements. Plus les semaines passent et plus les individualités s’estompent laissant place à un collectif, le 1% Corporation.

Entité artistique ne se limitant pas qu’à la musique, le 1% est une nébuleuse réunissant une vingtaine d’artistes et repose sur deux piliers : l’amitié et l’amour de la musique. Plus d’un an après ses débuts au Garden, le collectif saute le pas en proposant un premier single sobrement intitulé « 1% ».

Avec Prélude, son premier EP sorti en mars 2022, le 1% nous renvoi à cette époque où le collectif primait sur l’individualité. La symbiose ne fait que s’intensifier au fil des titres proposés. Chacun trouve sa place. Sur « Nouvelle fragrance », Coffee237 et Salakid livrent un couplet parfaitement découpé et maîtrisé tandis que Lasmo et Rich apportent une légèreté de par leurs voix plus aérienne accompagnés par un autotune maîtrisé, le tout avec des phases entêtantes et un refrain efficace.

Une efficacité et une alchimie collective que l’on retrouve via le morceau « Millions & Chagrins » et dans lequel la voix de Drich fait l’effet d’une secousse sismique auditive. Un morceau qui, au cours de l’été 2022, connaît une certaine renommée en Espagne en se plaçant dans différentes playlists Spotify.

Aventure collective laissant pourtant une place bien définie à chacun, 1% Corporation ne cesse de s’étoffer avec de nouvelles arrivées à l’image de FG-deon. Indirectement affilié au collectif, l’artiste de Velizy (Yvelines) peut compter sur les conseils de Lasmo et Salakid pour sa direction artistique. A la base rappeur, il s’oriente finalement vers le chant pour nous proposer en 2022 un premier projet solo avec comme titre phare “Dans mes pas”.

Lasmo & Friends.

Finalement, dresser un portrait de Lasmo, c’est aussi dresser un portrait de toutes celles et ceux qui l’entourent depuis ses débuts. L’univers musical bâti par le rappeur d’Asnières est le fruit de rencontres, d’échanges et d’amour. Loin de vouloir œuvrer dans un rap misant sur la rivalité des égaux, Lasmo et ses proches militent pour un art reposant sur la cohésion et l’esprit d’équipe.

Un moyen efficace pour, finalement, se mettre chacun en avant. Les egos ne sont pas pour autant mis de côtés, ils cohabitent et combinent, nous rappelant l’âge d’or d’une culture hip-hop centré sur le collectif.